Pierre Mauroy (2006) : « Si les dégoûtés s’en vont, ne resteront plus que les dégoûtants. »

Publié le par désirs d'avenir Somme 80


Je viens de relire cette critique écrite en février-mars 2007 sur un livre publié dernier trimestre 2006. 

C'est troublant...

Qu'en pensez-vous ? Sincérement...


La société des socialistes. le PS aujourd'hui, Rémi Lefebvre et Frédéric Sawiki, Le Croquant, 2006, 255 p., 18,50 €.
Xavier Molénat


Comment peut-on être socialiste ? Comment fonctionne le petit monde des militants et des élites PS ? 

En disséquant la « société des socialistes », Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki dressent le portrait à la fois sombre et pathétique d’un parti recroquevillé sur lui-même, au grand désespoir de ses militants.


« Il faut avoir le cœur bien accroché pour rester au ps. »

Michel, l’auteur de ce propos, est bien placé pour le savoir : il est militant socialiste à Lille. Propos paradoxal, mais que le lecteur fera sans doute sien s’il lit jusqu’au bout le très riche essai que Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki viennent de consacrer au Parti socialiste. 

Sans parti pris, les deux politistes dressent, à coups de statistiques, de rappels historiques et d’une enquête de terrain, un tableau clinique très sombre du principal parti de la gauche française.
 
Partant de la conviction que « pour comprendre ce que font et disent les socialistes, il faut comprendre ce qu’ils sont et la société qu’ils forment », ils décrivent un parti de plus en plus hermétique, homogène socialement et ayant du mal à avoir une vision de la société et une ligne idéologique claires. 


La "sociologie" du PS :

Mais cela n’empêche pas le PS d’aujourd'hui d’être marqué par une fermeture inédite aux groupes sociaux situés en bas voire au milieu de l’échelle sociale
Au sein des élites notamment (élus, membres du Conseil national et des cabinets ministériels), qui, de plus en plus, ont été recrutées au sein des classes supérieures et, en large majorité, dans la fonction publique

Mais le constat vaut aussi pour les militants qui s’embourgeoisent, avec un très faible recrutement au sein des classes populaires (5 %), des salariés précaires (4 %) et des chômeurs (3 %). 

59 % des adhérents appartiennent au secteur public


Le vieillissement est particulièrement inquiétant
 : l’âge moyen de l’adhérent socialiste est de 55 ans, et seuls 14 % d’entre eux ont moins de 40 ans. 


La société des socialistes se replie un peu plus sur elle-même

Déjà peu représentative, la société des socialistes se replie un peu plus sur elle-même à cause de la rétractation des réseaux que le PS avait tissés au cours des années 1970 avec d’autres organisations ou mouvements, et qui lui offraient un « ancrage social » significatif. 
Ainsi du « monde » laïc et de ses figures de proue, les instituteurs, qui se font de plus en plus rares dans un PS où la cause laïque (lutte contre l’école privée et pour l’élitisme républicain) a été « ringardisée ». 
« Avant, la laïcité, c’était une fierté et une évidence… Maintenant c’est un défaut, on me traite de laïcarde », témoigne une élue socialiste.

Idem pour le lien avec l’extrême gauche étudiante, qui avait pourtant fourni un certain nombre de figures actuelles du PS (Lionel Jospin, Julien Dray, Henri Weber…), mais que la pratique du pouvoir a défait, pour ne laisser place qu’à une « détestation croisée bien établie »

Le monde associatif s’est lui professionnalisé (la dimension militante passant au second plan) alors que le PS ne promouvait guère ceux qui militaient dans les deux sphères. 

Les syndicats, enfin, se tiennent désormais à distance du politique – la CFDT notamment qui, échaudée par ses expériences passées avec le PS, proclame sa neutralité (« ni de gauche, ni de droite »).



Une ligne idéologique qui est condamnée à fluctuer 

R. Lefebvre et F. Sawicki
insistent sur le fait que ce sont ces liens rompus et la faible implantation du PS qui « (accroissent) la volatilité de l’électorat socialiste, condamnant le PS à faire fluctuer sa ligne idéologique ». 

Cela éclaire aussi les raisons de l’usage intensif des sondages : « Faute de réseaux puissants irriguant la société, les élites socialistes sont de fait conduites à s’appuyer sur des formes de production non “mobilisées” de l’opinion publique comme les sondages. » 
Et ce n’est sans doute pas non plus un hasard si la vision socialiste de la société dénie toute conflictualité sociale (« ouvrier » est un terme rare au PS) pour se nourrir avant tout des travaux sociologiques sur l’individu et les valeurs postmatérialistes (François de Singly, Marcel Gauchet) qui dessinent des individus « entrepreneurs de leur propre vie », selon l’expression, d’Alain Ehrenberg, qui fait florès.

De fait, les militants d’origine populaire se font rares, ce que les deux politistes expliquent aussi par la généralisation, au sein du PS, d’une « culture du débat » qui valorise la réflexion collective, la libre expression des militants. 

Or cette « intellectualisation », en faisant appel aux ressources culturelles personnelles, en technicisant le débat et en dévalorisant le rapport populaire au parti fait de remise de soi et de loyalisme, favorise la relégation des militants les plus modestes

Une militante ouvrière témoigne ainsi : « On n’avait pas besoin de discuter, de débattre parce qu’on avait tous les mêmes idées… Je vois bien dans les réunions maintenant, ils passent leur temps à faire des grands débats intellectuels, y en a qui sont jamais d’accord… »

Ce sont les pratiques les plus ordinaires du militantisme (tractage) qui sont ainsi dévalorisées mais aussi, par conséquent, les dimensions collectives et identitaires de l’appartenance partisane (nuits de collage d’affiches, fêtes de sections) qui se perdent. 

Etonnamment, le PS semble tolérer, voire encourager, un militantisme distancié


Les conséquences : la dimension cynique

La conséquence en est que la dimension cynique des comportements prend une place prépondérante au sein du parti, où « le militant est un loup pour le militant », selon André (40 ans de parti). 

Un « univers hobbesien », donc, où l’on « ne s’aime pas, ou peu » et où « rapporter les prises de positions des militants aux positions dans l’espace partisan relève d’un quasi-réflexe (...) »

Certes, rappellent les auteurs, le cynisme en politique ne date pas d’aujourd’hui, mais la nouveauté est que la concurrence touche toute la communauté militante, du sommet jusqu’à la base, et que la « lutte pour les places », contrairement à d’autres milieux militants, y est peu déniée

Selon un militant de Villeneuve-d’Ascq, « y a pas beaucoup de fraternité dans le parti, c’est un milieu très dur. Les amitiés sont jamais durables. Y en a qui vendraient leur mère ».


Le "malheur militant"

Difficile donc de « militer au ps et d’y rester tant intérêts, croyances et convictions, dispositions, ajustements à l’institution s’y articulent difficilement »

Cela explique, selon les deux chercheurs, une certaine forme de « malheur militant » qui, dans les entretiens qu’ils ont menés, s’exprime à travers les registres de l’insatisfaction (« on ne s’y retrouve pas »), de la déception, de la frustration (« il n’est pas facile de militer »). 

Malgré tout, et malgré leur grande lucidité, les militants semblent peu enclins à la défection, sans doute parce que, toujours à cause de la rétractation des réseaux socialistes, il est désormais difficile de reconvertir son militantisme socialiste. 

On voit donc se multiplier les formes de « distance à l’engagement » : ne pas voter socialiste aux élections, voter « oui » à la Constitution européenne lors du référendum interne pour ne pas cautionner Laurent Fabius en se promettant de voter « non » dans l’urne, adhérer à Attac ou encore, dans un autre registre, afficher délibérément son cynisme et valoriser la distance critique en raillant « l’engagement total » du militant de base…



C’est au final un portrait quelque peu pathétique du PS que dessinent R. Lefebvre et F. Sawicki. 

Un PS incapable d’affirmer ce qu’est être socialiste aujourd’hui« on ne sait plus pourquoi on est socialiste », répètent les militants – et donc « condamné à décevoir ».
 


Y a-t-il néanmoins des raisons d’espérer ?
 

Les deux chercheurs en voient dans l’histoire du PS qui, dans les années 1970, avait réussi sa rénovation en redonnant leur place aux militants, en limitant les mandats, en s’ouvrant aux autres organisations… 

Reste qu’un tel élan se fait attendre, au risque de faire perdre leurs dernières illusions aux militants

Un risque que résume cette formule attribuée à Pierre Mauroy : « Si les dégoûtés s’en vont, ne resteront plus que les dégoûtants. »

 Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki

Rémi Lefebvre et Frédéric Sawicki sont professeurs de science politique à l’université Lille-II, membres du Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales (Céraps). 

R. Lefebvre a dirigé (avec Christian Le Bart) La Proximité en politique. Usages, rhétoriques, pratiques, Presses universitaires de Rennes, 2005. 

F. Sawicki a notamment publié Les Réseaux du parti socialiste. Sociologie d’un milieu partisan, Belin, 1997.
 
Ils rejoignent en cela les critiques ordinairement adressées au PS, mais en montrant, grâce à leur vaste information, les mécanismes ordinaires, quotidiens, qui font de la « société socialiste » ce qu’elle est aujourd’hui.


Quelques faiblesses structurelles du PS. 

Le début de l’ouvrage, qui retrace l’histoire du socialisme français, rappelle tout d’abord quelques faiblesses structurelles du PS. 

S’il a, sur les vingt-cinq dernières années, gouverné le pays pendant quinze ans, il est, parmi les partis sociaux-démocrates européens, l’un des plus faibles en termes de scores électoraux (27,8 % en moyenne au premier tour des législatives entre 1981 et 2005). 
Joue ici la spécificité de la situation française, notamment un Front national à 8-10 % des électeurs inscrits et une extrême gauche encore vivace. 

Reste que, contrairement à l’Allemagne ou à l’Angleterre, le socialisme français a toujours eu du mal à s’arrimer aux classes populaires (la CGT refusant notamment, dès la naissance de la SFIO en 1905, toute collaboration). Il n’a pas réussi à s’imposer à gauche comme l’avait fait le PC avant lui.

Le socialisme français n’a donc jamais été complètement « populaire ». 
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