Montebourg : "le Parti socialiste est une vieille porcelaine fragile. L’amener à évoluer est un travail de dentellière"

Publié le par désirs d'avenir Somme 80

11 août

Au creux de la trêve estivale, dans cet entretien au "Parisien", Arnaud Montebourg pointe les limites évidentes de la pratique du Président de la République. Il s’exprime aussi sur la situation du PS, parti en convalescence pour lequel ,il faudra patience et délicatesse pour le faire évoluer.

"Le Parisien" : Les vacances du président de la République doivent-elles forcément faire l’objet de polémique ?

Arnaud Montebourg : De polémique, certainement pas. D’observation, oui. M. Sarkozy n’est pas un citoyen ordinaire. Il est le président de tous les Français. Le choix de ses lieux de vacances n’est pas sans consequence politique. Lorsqu’il va, juste après son élection, dans ce paradis fiscal qu’est Malte, sur le yacht battant pavillon de complaisance d’un ami milliardaire ; ou quand il choisit pour ses premières vacances les Etats-Unis, où il attend pendant trois jours le coup de fil de confirmation d’un déjeuner avec le président Bush, le président affaiblit l autorite symbolique de sa fonction en donnant le sentiment d une dependance a l egard de l’argent et de la puissance des autres. Et il froisse l’image d’independance que la France detient aux yeux du reste du monde.

Selon vous, il n’aurait pas dû choisir les Etats-Unis ?

Il aurait dû rencontrer le président américain lors d’un voyage d’Etat, pour mettre sur la table des lourds sujets de desaccord comme par exemple l’Irak ou la non ratification par les Etats-Unis du protocole de Kyoto. Il aurait dû prendre la décision d’ouvrir le débat avec nos amis américains, qui sont nos alliés historiques, de puissance à puissance. Il eût été, de sa part, plus consensuel de prendre ses premières vacances en Europe, afin de montrer son attachement a celle ci plutôt qu’au bord d’un lac luxueux en attendant les bonnes grâces de la Maison blanche...

Vous pensez qu’il n’est allé aux Etats-Unis que pour cela ?

Je ne sais pas. Le vrai problème, c’est cette maniere de réhabiliter l’aristocratie financière internationale, ce qu’on appelle la jet set. Un président de la République doit se situer au-delà des groupes de pression et des intérêts privés. Ce sont des amis multimillionnaires qui lui paient ses vacances. Un président qui a des amis richissimes est toujours porté à les remercier en faisant commerce du pouvoir qu’on lui a confié. Nous sommes très, très loin de Guy Môquet le communiste et de Jean Jaurès le socialiste. Ca ne me gènerait pas que la République paie au président de la République des vacances même chères pourvu que ce soit aux frais des contribuables. Je ne souhaite pas que le président de la Republique, de toute la Republique, dépende de milliardaires, qui ont d ailleurs déjà été remerciés avec le paquet fiscal qui, de fait, a supprimé pour ceux là l’impôt sur la fortune.

Qu’attendez-vous de la commission d’enquête sur la libération des infirmières bulgares ?

Les francais doivent connaître l’étendue de nos accords avec la Libye, cet Etat qui est à peine sorti du terrrorisme, et qui s’est comporté dans cette affaire comme un preneur d’otages rançonnant les Etats européens. Donner à la Libye des outils nucléaires et militaires sans exiger qu’elle respecte les règles élémentaires du droit international et la morale attachée aux droits de l’homme, est source d’inquiétude pour la communauté internationale. La France est-elle à ce point en difficulté économique qu’elle ne serait plus regardante sur les contrats qu’elle signe ?

Avez-vous été choqué par l’intervention de Cécilia Sarkozy dans cette affaire ?

Le président de la République fait ce qu’il veut avec son épouse et ses émissaires. Ce qui n’est pas normal, c’est qu’il signe des accords secrets. Sur l’affaire libyenne, les institutions n’ont pas fonctionné et les mensonges se sont succédés. Là encore, nous manquons d’une vision d’homme d’Etat capable de montrer les choix de politique étrangère que nous défendons, qui formule sérieusement nos intérts et les buts que la France poursuit en Lybie comme ailleurs. La commission d’enquête devra tirer tout cela au clair.

Pourquoi dites-vous qu’avec Sarkozy, on change d’époque ?

Le changement de système politique que, par son comportement, M. Sarkozy essaie d’imposer aux institutions montre toutes ses limites. Les ministres ne s’expriment plus. Le Premier ministre reste silencieux. L’entourage du président remplace le gouvernement dans les fonctions vitales de l’Etat alors quil n’est responsable ni devant les citoyens ni devant le Parlement. Cette concentration abusive des pouvoirs se retournera contre son instigateur. C’est une lourde régression démocratique pour la France.

Comment va le Parti socialiste ?

Il est en convalescence. C’est une vieille porcelaine fragile. Il faut le ménager et l’amener à évoluer en respectant les délais qui ont été fixés et en travaillant à recoudre les blessures et les fractures multiples. C’est un travail de dentellière. Il y faudra de la patience et de la délicatesse.

Propos recueillis par Béatrice Houchard

Entretien paru dans Le Parisien du samedi 11 août 2007

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