Jean-Michel Aphatie : Bonjour, Manuel Valls. Manuel Valls : Bonjour. La réforme des régimes spéciaux de retraite est prête, a dit hier François Fillon. Il veut les aligner au nom de l'égalité sur le régime général de la Fonction publique, pourriez-vous soutenir la démarche, Manuel Valls ?
Il faut dire la vérité aux Français. Il faut être clair. Et donc, les socialistes doivent le dire aussi : il faudra aligner les régimes spéciaux sur le régime général, c'est une question d'abord d'équité. Nous l'avons beaucoup entendu pendant la campagne électorale ; et puis c'est aussi une question financière parce que nous savons que, demain, il y aura pour ces régimes beaucoup plus d'inactifs, beaucoup plus de retraités que d'actifs. Et donc, il y aura un grave problème financier qui se posera. C'est si rare d'être clair en Politique. Là, vous dites : "François Fillon a raison". Et donc, s'il présente, par exemple, un projet au Parlement, vous pourriez le voter ?
Encore faut-il qu'il y ait un projet au Parlement ! D'abord, il faut privilégier et c'est pour ça qu'il faut mettre deux conditions à cela : il faut privilégier, d'abord, la négociation, le dialogue social, éviter la brutalité. Sans doute - et les syndicats le demandent - privilégier d'abord une discussion par grandes entreprises.
Qu'est-ce qu'il y a à négocier puisqu'il s'agit d'aligner les régimes spéciaux sur le régime général ?
Parce que je pense que si on intègre notamment la question de la pénibilité du travail pour un certain nombre de métiers, il faut une discussion par entreprise. En tout cas, je crois qu'il faut privilégier ce dialogue social, mais être au clair sur la finalité. Et je pense qu'il faut un passage au Parlement parce que ce sont des sujets suffisamment graves qui intéressent nos concitoyens pour qu'il se fasse aussi dans le dialogue républicain et dans le débat parlementaire. Mais je ferais peut-être deux remarques supplémentaires : ne faisons pas croire aux Français qu'on règlera le problème des retraites uniquement à partir de la réforme des régimes spéciaux. Il y a un rendez-vous très important pour 2008 et donc, la question : la durée des cotisations ? La manière dont on trouve des moyens supplémentaires pour financer les retraites parce que nous savons qu'en 2020, ces retraites ne seront pas financées ? Et puis, ne pointons pas du doigt les fonctionnaires. Vous savez, un Etat fort, un Etat efficace, un Etat qui se donne des missions de service public doit aussi respecter les hommes et les femmes qui travaillent pour lui. Donc, la question de la revalorisation, du Pouvoir d'achat des fonctionnaires comme des autres salariés est posée. A ces conditions, à ces méthodes, je suis évidemment, pour ma part, favorable à cet alignement. C'est demandé dans le pays. C'est une question de Justice. C'est nécessaire sur le plan financier. Et ne faisons pas croire, Manuel Valls, aux Français que les socialistes ont une solution miracle. Il n'y a pas de solution miracle sur ce sujet. Je crois que Michel Rocard, il y a quelques années, avait dit que la question des retraites pourrait faire exploser n'importe quel gouvernement. C'est un sujet lourd, important. Il concerne l'avenir de ce pays. Il nécessite évidemment que chacun soit responsable. Nous n'avons pas été collectivement - et je m'y mets aussi parce que j'ai été parlementaire - courageux en 2003 et pendant la campagne électorale, nous aurions du dire clairement aux Français qu'au-delà de la négociation et de tel ou tel sujet, nous ne mettrions pas en cause la réforme Fillon de 2003. Vous êtes le premier dirigeant socialiste, Manuel Valls (c'est au micro de RTL, ce matin) à dire : Oui, il faut accompagner - aux conditions que vous avez décrites, mais celles-là, elles risquent d'être remplies - François Fillon dans sa volonté de mettre les régimes spéciaux à égalité avec le reste des régimes de retraite. Vous savez que vos amis socialistes vont durement vous critiquer à partir de tout à l'heure...
Mais beaucoup de dirigeants socialistes le murmurent : retrouver la confiance... Pas fort ! Ils le murmurent pas fort, Manuel Valls !
Beaucoup de Français souhaitent que la Gauche change en profondeur. La démocratie, la France ont besoin d'une Gauche forte qui représente demain l'alternative. Nous avons beaucoup de travail à faire pour changer notre projet, notre vision du monde, tenir compte des évolutions de la société, ça passe aussi par un devoir de vérité. Dans son livre - il n'était pas tendre avec vous -, Claude Allègre disait ceci : Tony Blair doit devenir une référence pour toute la Gauche européenne. Quand vous faites la réponse que vous faites, ce matin, sur le problème des régimes spéciaux, Manuel Valls, vous avez en tête cet exemple de modernisation de la Gauche en Europe ?
Moi, je m'y essaie à ma manière et modestement. Il y a deux ans, j'ai écrit un livre sur la laïcité parce que je pense que notre société a beaucoup évolué sur les questions : la religion, sur les problématiques de l'immigration, sur le vivre ensemble, sur la montée de l'individualisme. Il y a un an, j'ai essayé modestement, sans doute avec des imperfections de réfléchir à travers un autre livre sur ce que devait être cette doctrine nouvelle pour les socialistes qui doivent tenir compte de la mondialisation, de la globalisation économique qui peut être une chance inouïe et qui en même temps, crée des inégalités terribles dans le Monde, sur les évolutions de la société. Nous vivons, je viens de le dire, dans une société plus individuelle, plus éclatée. J'essaie de réfléchir à ma manière. Je travaille. Je pense que les Socialistes doivent faire un effort intellectuel de doctrine comparable à celui qui a été fait, il y a 30 ou 35 ans dans les années 70 avant de se poser la question du leadership ou des alliances. C'est d'abord cette question idéologique, on aurait dit il y a quelques années, en tout cas de projet d'idées, qui me paraît être essentiel. Et de ce point de vue-là, je réponds à votre question : cet effort est sans doute comparable à celui que Tony Blair a fait au niveau du Parti travailliste. Et il y aura un autre test, c'est la Loi sur l'immigration, 18 septembre. Brice Hortefeux va la présenter au Parlement. Comment vous abordez cette discussion, Manuel Valls ?
Nous allons en discuter demain entre Socialistes parce que le groupe socialiste, évidemment, va aborder cette question. Ah je pense qu'il y a des interrogations qui dépassent même le projet de loi, à partir plus particulièrement de ce ministère, peu clair, qui lie l'immigration et identité nationale. Mais il faut le faire aussi en donnant notre propre doctrine dans ce domaine-là, en n'étant pas à la remorque d'un certain nombre d'associations. Il faut que nous sortions d'un certain angélisme et que nous disions très clairement que nous ne sommes pas évidemment pour la généralisation, la règle automatique qui vise à donner des papiers à tous ceux qui le demandent.
Il faut dire clairement que c'est d'abord une question européenne. Et nous devons, nous socialistes, hommes de Gauche et de femmes français, discuter avec nos amis italiens, espagnols qui sont confrontés à ces problèmes considérables. Et puis, moi je prône une immigration économique d'abord aujourd'hui, qu'on mette sur la table la question des quotas. Nous avons besoin aussi de former les élites de nos pays amis. Vous savez les Sénégalais, aujourd'hui, vont de plus en plus étudier en Italie, au Canada ou aux Etats-Unis. Et puis, il faut évidemment garder de la tradition d'asile. Et puis, je pense que la question de l'accueil... Vous pourriez voter le projet de loi du gouvernement ? Je ne crois pas parce qu'il y a beaucoup de manque, aujourd'hui, dans ce texte. Je ne vois pas très bien comment il va régler notamment le problème de tous ces sans papiers qui vivent dans des conditions épouvantables. D'une manière générale, il faut dire comment... Il faut une régularisation ? Il va falloir régulariser. De toute façon, c'est ce qui se passe au fil de l'eau. Il faut régulariser qui ? Quoi ? Il faut régulariser sur des critères clairs. Le gouvernement précédent et Nicolas Sarkozy ont trompé beaucoup de gens en leur disant qu'ils allaient être régularisés. Il faut des critères, des critères sur le travail, sur le logement, sur l'intégration, sur le lien avec les valeurs de la République, sur la capacité à parler français. Mais il faut des critères : clairs et lisibles pour tous. Si vous deviez choisir un mot, Manuel Valls, lequel choisiriez-vous pour décrire l'atmosphère au Parti socialiste, aujourd'hui ?
Studieuse. On ne vous croit pas !
Et un peu délèterre. Et le deuxième est plutôt juste que le premier.
Mais un responsable politique doit être optimiste et en tout cas, volontariste. C'est ce que je suis. J'ai une lu une chose qui m'a intéressé : le candidat socialiste à la mairie de Marseille a dit : "Le mandat de maire de Marseille, c'est un mandat à plein temps. Donc je démissionnerai des autres mandats". Vous êtes député-maire d'Evry. Maire d'Evry, c'est pas un mandat à plein temps ? C'est un mandat passionnant surtout. Plein temps ou pas ? A plein temps et totalement compatible... Et on a encore du temps pour faire autre chose après ?
J'ai été élu par 60% des habitants de cette circonscription. Plus de 70% à Evry... Cà, c'est pas la réponse... ... Je suis favorable au non cumul des mandats. Mais aujourd'hui, il existe et je crois que les Evryiens savent que je suis aussi utile à l'Assemblée nationale. Manuel Valls qui va sûrement susciter le débat aujourd'hui au sein du Parti socialiste, était l'invité de RTL. |